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De l’icône à l’« ontologie iconique » de Jean Zizioulas

De l’icône à l’« ontologie iconique » de Jean Zizioulas

par le P. Amphilochios MILTOS*

*Prêtre et Secrétaire du diocèse de Démétrias (Volos, Grèce), Docteur en théologie (Institut Catholique de Paris) et en histoire des religions et anthropologie religieuse (Paris-Sorbonne) et Membre du Comité scientifique de l’Académie des études théologiques de Volos.

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De l’icône à l’« ontologie iconique » de Jean Zizioulas[1]

« Les icônes sont trop souvent considérées par les gens étrangers à l’orthodoxie comme quelque chose de typiquement oriental, parfois même exotique, ou peut-être même esthétique, bien qu’elles soient généralement présentées comme représentant la richesse "mystique" ou l’attractivité de la spiritualité orthodoxe, ce qui n’est pas totalement faux. Par le passé, des penseurs occidentaux ont cru que les icônes représentaient une aliénation de l’Eglise orthodoxe par rapport à l’Eglise chrétienne primitive, une extension et une influence des éléments de la religion grecque classique sur l’Eglise d’Orient. Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité »[2]. Cette remarque du Patriarche œcuménique Bartholomée sur l’icône comme une particularité orthodoxe garde sa vérité, même si l’usage des icônes peintes devient de plus en plus courant dans les Églises occidentales.

Le terme icône ne se réfère pas seulement à une image sacrée ou un tableau. Ainsi, selon une tradition byzantine qui pourrait en partie remonter à Ignace d’Antioche, l’évêque (et par extension le prêtre) est considéré comme l’icône du Christ dans la célébration eucharistique[3]. Cette approche proprement iconologique du ministère, plutôt absente dans la tradition latine[4], a été remarquée par Y. Congar. L’illustre dominicain écrit dans une préface que « l’Orient dispose de la belle et profonde notion d’icône » et cite le passage suivant de l’évêque orthodoxe Antoine Bloom : « Comme l’icône le prêtre doit être transparent au message qu’il porte sans s’identifier avec lui. (...) Le prêtre y est comme une icône, in persona Christi »[5].

Dans la théologie du métropolite Jean Zizioulas l’icône se présente comme une notion théologique très importante qui ne concerne pas uniquement la théologie des ministères. Zizioulas va jusqu’à parler d’une « ontologie iconique », idée qui n’a pas toujours attiré l’intérêt des théologiens qui ont étudié son œuvre[6]. Il n’est donc pas sans intérêt de se demander comment Zizioulas comprend l’icône et l’intègre dans son ecclésiologie. S’agit-il vraiment d’un concept théologique ? Comment cette notion, caractérisée comme une particularité orthodoxe, pourrait-elle éclairer des problématiques proprement chrétiennes ?

Il semblerait que le théologien grec a repris une notion de la tradition patristique et l’a d’une certaine manière thématisée théologiquement. Pour vérifier cela, nous retracerons d’abord une clarification du concept patristique d’icône par rapport au platonisme. Ensuite, nous proposerons une conceptualisation de l’icône suivant la pensée de Zizioulas, et enfin nous préciserons son ontologie dite iconique, qui nous permettra de comprendre le rôle de l’icône dans le rapport entre histoire et eschatologie.  

1. L’icône : un concept entre histoire et eschatologie

L’icône, soit au sens d’une image visuelle (iconographique), soit au sens d’une image conceptuelle, met toujours en relation deux choses ou deux réalités. Pour J. Zizioulas, l’Église elle-même constitue une icône du Royaume à venir[7] et, pour cette raison, l’objet, ou mieux la réalité, que l’icône représente est d’ordre eschatologique. C’est dans cette référence à l’avenir, que se trouve, selon le métropolite de Pergame, la différence caractéristique du concept patristique de l’icône par rapport à ses racines platoniciennes.

Selon le théologien grec, l’identité de l’Église se trouve dans les eschata, le Royaume de Dieu[8]. Cette identification de l’Église dans ce monde au Royaume à venir, pose problèmes pour la théologie, notamment pour celle de l’Occident[9], car elle semble mélanger l’historique avec l’au-delà, la condition terrestre avec la réalité céleste. Pourtant, Zizioulas soutient qu’aucune autre dimension ou fonction (missionnaire, morale, thérapeutique, etc.) de l’Église, aussi importante soit-elle, ne manifeste autant la différence absolue de celle-ci par rapport aux autres religions ou institutions mondaines, dans lesquelles on peut aussi trouver des éléments semblables[10]. Selon lui, c’est cette liaison avec le Royaume de Dieu, opérée notamment dans l’Eucharistie, qui distingue fondamentalement l’Église de toute autre réalité. Dès lors, le but de la création est sa transfiguration en Église (ecclésialisation), en corps du Christ, en Lui qui unit le créé avec l’incréé et qui offre la possibilité de la communion avec la Sainte Trinité. Zizioulas relie cette identification Église-Royaume avec l’enracinement de l’Église dans la Trinité. L’origine et la destination de l’Église se situent dans la Trinité. L’ecclésiologie ne peut donc pas se borner simplement à « l’économie divine » au sens strict, à savoir l’histoire du salut entre la création et les eschata[11]

En même temps, à proprement parler, l’Église ne s’identifie au Royaume de Dieu que sur le plan eschatologique[12]. Il est clair pour Zizioulas que dans l’histoire, l’Église dans sa forme actuelle ne peut pas s’identifier au Royaume de Dieu. Elle attend la Parousie. La réalité qu’on appelle Église hic et nunc ne s’identifie pas totalement à la réalité appelée Royaume de Dieu, car dans l’histoire le mal est toujours à l’œuvre. Le seul moment où ces deux réalités coïncident est l’Eucharistie[13]. C’est précisément pour cela, poursuit-il, que nous utilisons le terme icône, εἰκών car « dans l’Église, le Royaume, les eschata, est "iconisé", εἰκονίζονται »[14] et cela ne se produit que lors de la synaxe eucharistique.   

Nous pouvons résumer le raisonnement de Zizioulas en quatre principes ecclésiologiques, qui déterminent également le concept de l’icône. L’Église constitue la récapitulation du mystère de l’« économie divine » (l’œuvre de la création et du salut) opérée par l’amour et la volonté du Père, l’incarnation du Logos et la communion de l’Esprit. Il faut signaler qu’il semble que pour Zizioulas les eschata, la Parousie, font partie de l’« économie » ; ce qui fait que l’histoire du salut comprend également un événement du futur[15]. Deuxièmement, la nature de l’Église est au fond eschatologique et son organisation doit donc refléter la communauté eschatologique. Ainsi, le troisième principe énonce que son être historique est déterminé par une ontologie dite « iconique ». Au cours de l’histoire, l’Église fait entrer en elle le Royaume à venir sans s’identifier nullement à l’histoire. Par contre, l’Église demeure sans cesse en conflit avec l’histoire[16]. Quatrièmement, la réalisation de cette ontologie iconique se produit seulement dans les saints sacrements et particulièrement dans l’Eucharistie[17]. Bref, selon Zizioulas, la conception de l’icône se situe dans une relation dialectique, ou même dans une tension entre histoire et eschatologie, condition dans laquelle l’Église vit actuellement.

2. La différence entre la conception patristique de l’eikôn et son concept platonicien

Le point nodal de la différence entre la conception philosophique et la conception patristique de l’εἰκών doit être repéré, pour Zizioulas, dans son rapport ontologique avec l’avenir ultime. À propos du symbolisme dans le culte chrétien, Zizioulas distingue deux pôles ou types qui, et ceci est significatif, renvoient tous les deux à l’avenir[18]. Le premier pôle, appelé typologique, voit dans l’Ancien Testament le type des sacrements (par exemple le déluge de Noé comme type du baptême). L’autre pôle du symbolisme est appelé iconique ou iconologique et se situe entre « la Résurrection et l’avenir dans sa forme eschatologique ou ultime »[19]. Un exemple de ce pôle est la vision de la divine liturgie comme image du Royaume à venir qu’on trouve chez Maxime le Confesseur[20]. Le symbolisme iconologique/iconique est fondé sur le concept de l’icône qui est utilisé par les Pères notamment pour désigner des événements du Nouveau Testament[21].

Zizioulas écrit : « Le symbolisme dans la liturgie (eucharistique) n’est ni parabolique ni allégorique ; il est iconique au sens que l’icône a chez les Pères et qui signifie participation au prototype avec un contenu ontologique »[22]. Quant à la dimension ontologique de ce symbolisme iconique, la théologie de Maxime, que Zizioulas cite à plusieurs reprises, revêt une signification capitale. La réflexion zizoulienne se fonde principalement sur un passage auquel le métropolite a constamment recours dans ses écrits[23]. En commentant Denys l’Aréopagite, Maxime écrit : « (...) les choses de l’Ancien [Testament] sont ombre (σκιά), celles du Nouveau Testament sont image/icône (εἰκών) et celles de l’état futur sont vérité (ἀλήθεια) »[24]. L’affirmation de Maxime est assez paradoxale, car elle laisse entendre que l’Incarnation en tant qu’événement du Nouveau Testament serait moins vraie que le deuxième avènement. Cependant, Zizioulas remarque que « (...) pour les Pères grecs à l’exception de la tradition origéniste, εἰκών signifie toujours quelque chose de réel et d’aussi vrai que ἀλήθεια »[25]. L’icône est donc essentiellement la vérité sous la forme de l’histoire et elle est aussi véritable que l’eschaton, mais sans être l’état futur. Cette antinomie émerge de la valeur ontologique de l’icône. 

L’identification de la vérité à « l’état futur », opérée par Maxime, constitue l’élément fondamental qui différencie radicalement le concept patristique de l’icône de la ligne du platonisme[26]. Alors que l’image platonicienne doit fondamentalement sa vérité au passé, dans la réalité originaire des idées, la tradition patristique (tout au moins celle qu’on observe ici chez Maxime) considère que la perfection appartient non à l’état originel des choses mais à l’état eschatologique[27]. Ceci signifie que l’icône patristique n’est pas une forme dégradée de l’état parfait de l’origine, mais qu’elle reflète l’état achevé et ultime[28].

Le passage de Maxime démontre donc que le langage iconique des Pères n’est pas de type platonicien. Au contraire, il est radicalement différent, parce que la notion d’icône est enracinée dans l’avenir eschatologique et métahistorique tel qu’il est exprimé dans la théologie apocalyptique primitive[29]. Or, bien avant Maxime, Basile de Césarée avait souligné la dimension eschatologique du terme de l’εἰκών à propos de l’Eucharistie, en disant que le jour de la Résurrection « est icône du siècle à venir »[30]. Zizioulas cite ce passage de Basile pour montrer que le Cappadocien annonce en quelque sorte Maxime (bien que le contexte soit différent) sur le fait que l’iconologie n’est pas une figuration du passé mais une dynamique vers l’avenir eschatologique[31]. Dans la même ligne, un siècle après Maxime, Théodore le Studite, le grand défenseur des icônes, souligne également la perspective eschatologique. En commentant un passage de ce Père byzantin, C. Schönborn fait la remarque suivante : « La perspective est donc profondément différente de celle du platonisme. L’image sensible ne renvoie pas à une réalité intelligible, mais à la réalité eschatologique du Christ »[32]. Comme Zizioulas le dit en d’autres termes, le fait que le modèle ou l’archétype de l’icône se trouve à la fin de l’histoire nous fait passer de la mentalité platonicienne à la mentalité biblique[33].

En outre, notre auteur met ailleurs en évidence le fait que le rapport entre modèle et image n’est pas figuratif ou imaginaire comme le stipule la contemplation platonicienne. En revanche, l’icône est un reflet du prototype (par exemple Église – icône du Royaume) au sens réel et non platonicien[34]. L’icône chez les Pères n’est pas une image dégradée, puisqu’elle ne renvoie pas aux origines mais à l’eschatologie et elle est aussi réelle (par participation) que son prototype. 

3. Vers une conceptualisation de la notion d’icône 

L’icône établit une relation entre elle-même et ce qu’elle représente. Cette relation, pour Zizioulas, ne doit pas être comprise symboliquement mais ontologiquement[35]. Il ne s’agit pas d’un résultat de l’imagination ou d’une association d’idées. On peut avoir un tel type de relation avec une photographie. Cependant, selon Zizioulas, l’icône n’est pas une image photographique car elle participe ontologiquement au prototype. De cette manière, il interprète l’expression bien connue de Basile de Césarée (certes, sortie de son contexte) que « l’honneur rendu à l’icône remonte (διαβαίνει, i.e. atteint, passe) au prototype »[36] comme une phrase qui exprime à la fois la distinction (l’icône n’est pas le prototype) et l’unité (ou une communion) entre les deux. Le rapport est qualifié d’ontologique, parce que si nous maltraitons l’icône, nous maltraitons le prototype de même que l’honneur rendu à l’icône remonte à son prototype.

Dans une étude sur l’évêque comme président de l’Eucharistie, Zizioulas propose cette définition : « L’icône est, pourrait-on dire en quelques mots, la présence d’une personne ou d’une hypostase, hors de la présence de la substance ou de la nature »[37]. Ici surgit l’importance de la théologie de la personne sans laquelle, dit Zizioulas, il n’est pas possible de saisir la notion d’icône. Le théologien s’appuie sur l’enseignement de certains Pères au sujet des icônes peintes et évoque un passage de Théodore le Studite, selon lequel nous désignons l’icône du Christ comme le Christ lui-même, malgré la différence des natures[38]. « Tout le concept d’icône dépend proprement de la notion de personne et de sa distinction avec la nature. Si l’icône n’est pas un mensonge ou une imagination, bien qu’elle ne soit pas la vérité, cela est possible parce que la personne ne dépend pas de la nature. Ainsi nous pouvons avoir une présence de la personne (personnelle) sans avoir une présence de la nature (naturelle) »[39].

Après cette distinction préliminaire entre φύσις et πρόσωπον, Zizioulas formalise d’une autre manière la définition mentionnée ci-dessus : « L’icône est la présence personnelle sans la nature ; la vérité est la présence personnelle avec la nature »[40]. Il convient de noter que la visée de Zizioulas est ici la distinction délicate entre la vérité, qui réside comme on l’a vu chez Maxime, dans l’avenir, et l’icône ou, en d’autres termes, entre la réalité ultime et la condition actuelle. Grâce à l’Incarnation et à la Résurrection, l’icône emprunte, d’une certaine manière, la nature corruptible, afin de rendre possible la présence personnelle, mais seulement en vue de la résurrection des corps, c’est-à-dire de la présence naturelle et future. En d’autres termes, la validité de l’icône dépend de l’anticipation de la réalité ultime qui a été inaugurée par la Résurrection du Christ. Sans cette dépendance, l’icône est une illusion psychologique, et sans cet emprunt, la communion entre l’Église historique et l’Église eschatologique est impossible[41].

Ayant vu la signification de l’icône chez Zizioulas[42], nous tenterons de conceptualiser la notion d’icône[43]. En général, pour déterminer un concept, il est nécessaire de définir ses limites, son contenu et son extension. Concernant d’abord les limites, celles-ci sont nettement historiques, parce que, d’une part, l’icône est fondée sur la réalité historique du Nouveau Testament, sur une « christologie réalisée et pas anticipée »[44], et, d’autre part, elle n’a pas de sens hors de l’histoire ; elle n’aura aucun sens à la fin de l’histoire, lorsqu’on aura la présence naturelle. La christologie est pour Zizioulas le fondement de l’icône : si la pneumatologie (comme nous le verrons) réalise l’icône, la christologie est la condition d’une telle possibilité[45]. La défense des images sacrées (pendant la querelle iconoclaste) s’est appuyée sur l’Incarnation, qui permet et légitime la représentation iconique (ou iconographique). En revanche, cette représentation sera superflue aux eschata, car « alors, nous verrons face à face » (1 Co 13, 12).

Alors que les limites du concept de l’icône sont historiques, son contenu est paradoxalement eschatologique et, en même temps, ontologique[46]. Ce contenu eschatologique de l’icône découle de cette dialectique que nous avons évoquée précédemment, une dialectique qui rend présent quelque chose, qui n’est pas présent, comme s’il était présent, et qui vient de l’avenir. De même, cette présence doit être réelle, car autrement il s’agirait d’une fiction ou de magie. Ainsi, comme nous le clarifions par la suite, le contenu ne peut être eschatologique sans être en même temps ontologique.

Enfin, en ce qui concerne l’extension de la notion de l’icône, nous devons chercher l’ensemble des objets concrets ou des réalités auxquelles s’applique le concept d’icône. Cette extension ne peut être que liturgique et plus précisément eucharistique. Chez Zizioulas, la fonction de l’icône ou de l’iconologie (εἰκονισμός), se situe invariablement dans la célébration eucharistique de l’Église, que ce soit dans la forme des icônes picturales ou dans les formes des gestes liturgiques, des sacrements ou même des ministres[47]. Ainsi, Zizioulas utilise alternativement et aisément les différents sens du terme icône pour désigner différents signifiants (images ou personnes), un fait qui peut sembler problématique et qui rend le terme parfois ambigu[48]. Toutefois, le point commun qui marque toutes les connotations de l’icône est le caractère cultuel de toutes ces réalités et, en même temps, le fait qu’elles trouvent exclusivement leur raison d’être dans un contexte proprement eucharistique. C’est pour cela que Zizioulas renvoie aux textes patristiques qui ont défendu les icônes peintes pour justifier son iconologie eucharistique, puisqu’il repère derrière chaque type d’icône la même théologie, élaborée davantage dans la crise iconoclaste.

Bref, en nous inspirant de l’ecclésiologie de Zizioulas, nous avons tenté de conceptualiser l’icône, en définissant ses limites comme historiques, son contenu comme à la fois eschatologique et ontologique et son extension comme eucharistique. Le symbole dans le culte, en l’occurrence l’icône, n’est ni vide, ni magique, ni psychologique, ni rationnel ni imaginaire. Sans cesser d’être symbole et non pas réalité, l’icône cultuelle est néanmoins réelle, grâce à l’« ontologie iconique », une catégorie originale que Zizioulas met en avant.

4. L’ontologie iconique de Zizioulas

Pourquoi Zizioulas ne se contente-t-il pas de souligner le contenu ontologique du concept d’icône, pourquoi revendique-t-il, de surcroît, une ontologie appliquée à l’icône, appelée par lui iconique[49] ? En un mot, cette « ontologie iconique est la clé pour l’ecclésiologie »[50], car elle désigne la réalité actuelle de l’Église dans l’histoire. Basée sur le concept et la fonction d’icône, elle fonde, non seulement l’iconographie des images peintes mais aussi l’acte eucharistique et sacramentel. La célébration eucharistique constitue la phénoménologie même du mode d’être de l’Église[51].

i. Pourquoi une ontologie iconique ?

Tout d’abord, nous pourrions nous demander pourquoi Zizioulas insiste sur le caractère ontologique de la fonction iconique. L’ontologie iconique s’avère cruciale pour Zizioulas parce qu’elle permet d’unir véritablement « dans l’identité »[52] et sans les confondre deux réalités distinctes, à savoir l’Église dans l’histoire et l’Église eschatologique (qui s’identifie au Royaume). En fait, si la relation entre ces deux réalités n’est pas qualifiée d’ontologique, nous ne pouvons pas les lier, suivant la thèse de Zizioulas, d’après laquelle « l’Église est ce qu’elle sera »[53]. Cette qualité ontologique réalise le paradoxe suivant : L’Église est à la fois et n’est pas le Royaume[54]. De ce point de vue, l’Église est en définitive mystère, parce qu’elle offre sa vérité et son identité transcendante sous des formes et des manières de la réalité historique, comme un trésor « en des vases de terre » (2 Co 4, 7).

En outre, Zizioulas semble préférer le terme d’icône à des termes semblables, comme symbole ou type, parce que l’icône, ayant, comme nous l’avons évoqué, un arrière-plan ontologique, préserve le réalisme de la relation entre le symbole et ce qui est symbolisé. Pour saisir son caractère ontologique, il faut aussi rendre compte de la définition de l’icône, proposée précédemment, comme d’une présence personnelle. En fait, dans son étude sur le problème de la relation entre symbolisme et réalisme, notre auteur souligne que, dans le cas du christianisme, le pont qui unit le divin et l’humain n’est pas la nature, mais la personne (comprise comme liberté personnelle et amour)[55]. Ainsi le symbolisme chrétien ne peut qu’être fondé sur l’Incarnation, sur la personne du Christ, qui seule a concilié l’incréé et le créé, et donc sur des événements historiques et non naturels. Alors que le concept de symbole peut être compris d’une manière analogique et ambivalente[56], le concept d’icône exprime pour lui de façon plus adéquate l’idée de la participation ontologique à la réalité qu’elle représente, idée que Zizioulas emprunte probablement à P. Tillich[57].

Toutefois, cela ne signifie pas que Zizioulas dévalorise le symbolisme pour honorer cette ontologie iconique. Il nous semble que face à la problématique du symbole, la contribution propre de Zizioulas consiste en ce qu’il repère que, dans la liturgie eucharistique, c’est le symbolisme dit iconique qui opère par excellence la synthèse entre l’historique et l’eschatologique. De plus, c’est ce symbolisme iconique ou iconologique qui permet d’assurer la réalité du symbole[58] et d’éviter les deux grands dangers du symbolisme, à savoir d’un côté la conception magique (comme dans le paganisme) du symbole, et d’un autre côté le rationalisme[59].   

Enfin, nous croyons que Zizioulas, en se situant dans un contexte œcuménique, est convaincu que l’accentuation d’une nature ontologique de l’icône se présente comme une proposition authentiquement orthodoxe face aux problématiques notamment occidentales[60], comme le rapport entre l’Église visible ou terrestre et l’Église invisible et céleste, le plan temporel et le plan spirituel, la sainteté de l’Église[61], la tension entre événement et charisme[62]. L’articulation de différents plans d’une manière iconique, c’est-à-dire ontologique et eucharistique, pourrait faire sortir de telles impasses ou dilemmes[63].

ii. Les trois aspects de l’ontologie iconique

Afin d’éclaircir davantage l’ontologie iconique proposée par le théologien orthodoxe, il importe d’examiner les trois aspects fondamentaux et caractéristiques de celle-ci : eschatologique, eucharistique et relationnel. Il s’agit de trois qualificatifs, équivalents du terme iconique, dont Zizioulas se sert pour désigner cette ontologie.

De tout ce qui a précédé, il ressort clairement que l’ontologie iconique est une ontologie eschatologique[64]. Il en va de même pour l’image ou icône dans l’iconographie byzantine, qui vise à représenter la réalité eschatologique, sans se soucier souvent de reproduire les faits historiques[65]. Bien que l’icône se fonde sur le passé, elle ne trouve sa justification que dans le futur. En s’appuyant sur la théologie johannique, Zizioulas rappelle l’origine et le contenu eschatologique de l’icône ; c’est ce contenu qui la remplit de lumière et de gloire[66]. Ainsi, cette ontologie est iconique ou eschatologique non seulement parce qu’elle utilise l’icône comme le lien entre histoire et eschatologie, mais aussi parce qu’elle trouve sa raison d’être dans l’avenir eschatologique, à savoir dans le Royaume de Dieu.

Fondée aussi sur les racines apocalyptiques, la deuxième caractéristique de l’ontologie iconique est eucharistique ou sacramentelle[67]. L’ontologie de l’icône est eschatologique justement parce qu’elle est eucharistique. Entre les deux aspects existe une réciprocité et une unité intrinsèque. Selon Zizioulas, « L’eucharistie "iconise", εἰκονίζει, les choses futures et elle ne les symbolise pas – il y a une grande différence – "iconise" veut dire qu’elle les manifeste dans leur réalité sous les formes et les façons du présent »[68]. Dans l’Eucharistie, nous situons tous les événements du passé et du présent dans le cadre du Royaume, non pas d’une manière psychologique (c’est-à-dire par un déplacement de notre imagination vers le futur) mais ontologiquement afin de leur accorder une hypostase. L’avenir est la cause et non pas l’effet : c’est ce paradoxe qu’exprime l’anaphore de Jean Chrysostome de la liturgie byzantine, en parlant du souvenir (ἀνάμνησις) du Royaume à venir[69]. En manifestant l’identité eschatologique de l’Église, l’Eucharistie devient sa phénoménologie[70]. Enfin, nous devons souligner aussi la dimension pneumatologique de l’ontologie eucharistique, puisque l’eucharistie et chaque sacrement présupposent ou dépendent de l’épiclèse de l’Esprit. D’après Zizioulas, c’est donc l’Esprit qui réalise cette fonction iconique et cette dialectique entre l’histoire et l’eschatologie[71].

De l’ontologie eucharistique découle le troisième aspect, relationnel comme le nomme Zizioulas. L’ontologie relationnelle est celle de la « personnalité corporative »[72] du Christ, « et qui a à faire avec la pneumatologie et la théologie trinitaire »[73]. Il faut entendre l’aspect relationnel de l’ontologie iconique sur deux niveaux. Le premier implique la relation ou « communion » qui existe entre l’icône et la vérité ou le prototype : « en étant iconique dans son existence, l’Église est deux choses : a) elle est l’image de quelque chose d’autre qui la transcende, d’où à nouveau son entité relationnelle ; b) elle est si transparente dans ses institutions et sa structure qu’elle permet toujours aux réalités eschatologiques de se refléter en elles »[74]. Cette ontologie relationnelle ou iconique, selon lui, ne se réalise que dans le contexte du culte, qui s’avère être le moment par excellence où transcendance et transparence sont vécues. D’où le deuxième niveau de cet aspect, qui concerne l’existence historique de l’Église, à savoir sa structure et ses institutions, qui sont aussi relationnelles. Célébrer le culte et surtout l’eucharistie présuppose une communauté, une communion, un tissu de relations interdépendantes, qui constitue finalement l’être ecclésial ou iconique, ou relationnel de l’Église. Les implications de l’ontologie relationnelle se manifestent davantage au sujet des ministères. Ces derniers se placent toujours dans le contexte eucharistique et relationnel que l’ontologie iconique impose. Ainsi, si l’évêque est appelé « icône » ou τύπος du Christ, c’est parce que tout dans l’Eucharistie, et par extension dans l’Église (qui tire son identité de l’Eucharistie), est icône, reflet du Royaume dans l’histoire[75].

Conclusion

Nous avons proposé une synthèse de la compréhension de la notion d’icône chez Jean Zizioulas. Pour lui, la différence capitale entre l’icône platonicienne et l’icône chez les Pères est d’ordre eschatologique. Parallèlement, Zizioulas soutient que l’icône n’est pas un signe vide mais qu’elle a un contenu ontologique. Non seulement l’image remonte à son prototype, mais elle participe aussi à la réalité ultime et eschatologique. Dès lors, il propose une ontologie iconique qui est à la fois eschatologique, eucharistique et relationnelle. À partir de cela, nous avons tenté de conceptualiser la notion d’icône et de préciser ce que Zizioulas appelle ontologie iconique. Cette approche épistémologique du concept-clé d’icône est nécessaire pour comprendre plusieurs problématiques abordées par Jean Zizioulas, son eschatologie, ainsi que sa lecture des textes patristiques.

La conception qu’a Zizioulas de l’eschatologie et du rapport entre Église et Royaume fut assez critiquée. On lui a reproché peu d’intérêt pour l’histoire et une surestimation de l’eschatologie[76]. Dans le cadre de cet article, il n’était pas possible d’examiner au fond cette critique, ni, par ailleurs, d’évaluer tout ce que nous avons présenté. Il faut certes admettre que l’accent mis sur l’identité exclusivement eschatologique de l’Église semble accorder une place secondaire à l’histoire. Toutefois, si on prend en considération la notion d’icône et sa fonction, comme les comprend Zizioulas, il nous semble que son ontologie iconique tient davantage de la dialectique entre l’histoire et les eschata que de leur dichotomie[77]. Même si l’usage du terme icône pour couvrir plusieurs signifiés (réalités et événements) rend le concept parfois imprécis, la conceptualisation ici proposée[78] représente le fil conducteur de cette variété.

La pensée de Zizioulas a par ailleurs renouvelé la réflexion sur une ontologie de communion (ou même trinitaire) : il ne s’agit pas seulement d’une compréhension de l’être en termes de communion, comme d’un être ecclésial, mais aussi comme étant iconique du « caractère dernier de l’être »[79]. Cette compréhension détermine en matière d’ecclésiologie différentes questions, comme celle du ministère épiscopal. Il est souhaitable que Mgr Zizioulas clarifie davantage son ontologie iconique dans le livre déjà annoncé[80]. Jusqu’à sa parution, cette approche eschatologique garde tout son intérêt pour l’ecclésiologie, l’ontologie et la théologie.

 

From the “icon” to the “iconic ontology” of John Zizioulas
Amphilochios Miltos

Summary

In the theology of Metropolitan Jean Zizioulas the “icon” is presented as a very important theological notion. This renowned theologian even speaks of an "iconic ontology", an idea that has not always attracted the interest of theologians who have studied his work. This essay examines the following questions: How does Zizioulas understand the icon and integrate it into his ecclesiology? Is it really a theological concept? How could this notion, characterized as something properly orthodox, shed light on other Christian issues? This paper shows that the Greek theologian has taken up a notion of the patristic tradition and has in a certain way thematized it theologically. The author of this brief study first retraces a clarification of the patristic concept of icon in relation to Platonism. Then, he proposes a conceptualization of the icon following the thought of Zizioulas, and finally he specifies Zizioulas’ so-called iconic ontology, which allows understanding the role of the icon in the relationship between history and eschatology.

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[1] Cet article est un extrait revu de notre thèse de doctorat, soutenue le 20 mai 2017 à la Sorbonne et intitulée Collégialité catholique et synodalité orthodoxe. Recherches sur l’ecclésiologie du Concile Vatican II, ses sources, sa réception et son rôle dans le dialogue entre les Églises, Université Paris-Sorbonne, Institut Catholique de Paris, 2017, à paraître prochainement aux Éditions du Cerf, dans la collection « Unam Sanctam, nouvelle série ».

[2] Bartholomée, Patriarche œcuménique, À la rencontre du mystère. Comprendre le christianisme orthodoxe, Paris, Cerf, 2011, p. 67.

[3] Sur cette tradition voir notre thèse à paraître.

[4] Cf. « Iconic representation, with its idea of participation in the reality imaged, is not predicted of the priest in Latin Mass commentaries. The notion of the priest as the icon of Christ is accepted by some Eastern theologians to explicate the sacerdotal role but is disavowed by others »: Schaefer Mary « "In persona Christi" : Cult of the Priest’s Person or active Presence of Christ ? » dans Skira Jaroslav & Attridge Michael (éd.), In God’s hands, Essays on the Church and Ecumenism in honour of Michael A. Fahey, s.j., Leuven, Peeters, 2006, « Bibliotheca Ephemeridum theologicarum lovaniensium » 199, p. 190. Concernant ce dernier point sur l’icône du Christ, l’auteur, spécialiste de la littérature latine, ignore peut-être la tradition patristique grecque et byzantine (voir notre thèse à paraître), qui, à notre connaissance, n’est pas désavouée par des théologiens orientaux. Certes, cette considération iconologique de l’évêque fait partie de la question plus large de la compréhension christologique du ministère en général et particulièrement de celui de l’évêque. Une telle vision christologique du ministère, également présente dans la tradition latine, est un lieu commun dans la théologie des ministères, sous la forme de diverses expressions : voir Legrand Hervé, « La réalisation de l’Église dans un lieu » dans Lauret Bernard et Refoulé François (sous la dir.), Initiation à la pratique de la théologie, t. III : Dogmatique 2, Paris, Cerf, 1983, p. 239-241.

[5] Congar Yves, « Préface » dans Marliangeas B.- D., Clés pour une théologie du ministère, In persona Christi. In persona Ecclesiae, Paris, Beauchesne, 1978, ThH 51p. 10. La citation de Bloom est issue d’une interview dans Le Monde du 2-3-1977, p. 14.

[6] Ainsi, Gaëtan Baillargeon, Perspectives orthodoxes sur l’Église-Communion : l’œuvre de Jean Zizioulas, Montréal-Paris, Paulines-Médiaspaul, 1989, Paul McPartlan, The Eucharist Makes the Church, Henri de Lubac and John Zizioulas in Dialogue, Fairfax, Eastern Christian Publications, 2006 (d’abord : Edinburgh, T & T Clark, 1993) ou Miroslav Volf, After Our Likeness. The Church as the image of Trinity, Cambridge, Wm.B. Eerdemans, 1998 n’abordent pas particulièrement l’ontologie iconique de Zizioulas.

[7] Cf. Zizioulas Jean, « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, Paris, Cerf, 2011, p. 99. Cette idée revient très souvent dans ses écrits. Tout dans l’Église reflète ou désigne, εἰκονίζουν ("iconise"), quelque chose : pas seulement les icônes (les peintures), mais aussi chaque célébration. Cf. Zizioulas J., « L’évêque président de l’eucharistie » dans L’Église et ses institutions, p. 395.

[8] Cf. Zizioulas J., « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 92.

[9] Baillargeon G., Perspectives orthodoxes sur l’Église-Communion, p. 255-256.

[10] Cf. Zizioulas J., « L’identité de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 136-143 (une version plus longue en grec : « Ἡ ταυτότητα τῆς Ἐκκλησίας » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, ἤτοι Κείμενα ἐκκλησιολογικά καί εὐχαριστιακά [Textes ecclésiologiques et eucharistiques], Mégare, Evergetis,  p. 21-37) ; Lectures in Christian Dogmatics, Douglas H. (éd.), London, T&T Clark, 2008, p. 120-126 et « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 155-222 (surtout p. 199-208).

[11] Cf. Zizioulas Jean, Θέματα Eκκλησιολογίας (Essais ecclésiologiques), Thessalonique, Service des publications de l’Université Aristote, 1991, (en grec), accessible aussi en anglais sur le site d’internet : http://www.oodegr.com/english/dogmatiki1/perieh.htm, le chapitre 2c : « The Trinitarian basis of Ecclesiology ». Pour le rapport épistémologique de la théologie à l’économie et au rapport entre la Trinité immanente et la Trinité économique voir la thèse de Doctorat inédite de Nicolaos Asproulis, Δημιουργία, Ιστορία, Έσχατα στη σύγχρονη ορθόδοξη θεολογική ερμηνευτική : από τόν Γεώργιο Φλωροφσκυ στον Ιωάννη Ζηζιούλα [Création, Histoire, Eschata dans l’herméneutique théologique orthodoxe contemporaine: de Georges Florovsky à Jean Zizioulas], Patras, Université Hellénique Ouverte, 2016, p. 345-349.

[12] Pour la question analogue de l’identification de l’Église au Christ cf. : McPartlan P., The Eucharist Makes the Church, p. 265-268. McPartlan rappelle à juste titre la solution chalcédonienne du problème. En tout cas, le Christ, le Royaume et l’Église ne s’identifient pleinement qu’au plan eschatologique et éternel.   

[13] Cf. Zizioulas J., « Ecclesiogical presuppositions » dans The one and the many, Edwards Gregory (éd.), Alhambra (California), Sebastian Press, 2010, p. 69.

[14] Zizioulas J., le chapitre 2d. « Εικονική Οντολογία » dans Θέματα Eκκλησιολογίας.

[15] Comme nous le verrons, le métropolite aime souligner que dans la prière eucharistique byzantine, on fait mémoire du second avènement du Christ, c’est-à-dire une mémoire du futur. Cette remarque peut nuancer la critique de Congar sur la présentation par Zizioulas des schèmes historique et eschatologique d’apostolicité. « Zizioulas ne pense pas que l’un seulement de ces schèmes doive être réalisé à l’exclusion de l’autre. Dans l’eucharistie, l’épiclèse ne dispense pas du récit. Que serait une présence par l’Esprit s’il n’y avait pas la réalité historique de l’« Economie » ? De quoi serait-elle la présence ou l’actualisation ? Les Pères appellent « mystique » ce qui est relatif à la consommation, c’est-à-dire au « mystère » du Christ. Mais ils insistent sur le fait qu’il s’agit du Christ de l’« Economie », non d’une réalité céleste qui ne serait pas donnée dans l’Economie. Vraiment l’Omega vient de l’Alpha. Nous insisterions plus que ne le fait Zizioulas sur cela » : Congar Y., Je crois en l’Esprit Saint, t. II, Paris, Cerf, 1979, p. 71. Congar n’a pas compris ici que pour Zizioulas la représentation dans l’eucharistie concerne les eschata, qui certes présupposent toute l’histoire du salut. La question de savoir si l’Omega vient de l’Alpha ou l’inverse mérite discussion.

[16] Zizioulas J., le chapitre 2e. « Δομή και διάρθρωση της Εκκλησίας » dans Θέματα Eκκλησιολογίας. Ainsi, l’Église ne peut pas coïncider avec le monde ou avec un état ou un parti politique etc. C’est pourquoi d’ailleurs, pour les sources primitives (Épîtres de Paul, Lettre de Clément de Rome) l’Église réside (οὔσα ou παροικούσα) en un lieu géographique comme un « visiteur », πάροικος.

[17] Zizioulas J., le chapitre 2e. « Δομή και διάρθρωση της Εκκλησίας » dans Θέματα Eκκλησιολογίας.

[18] Cf. Zizioulas J., « Symbolism and Realism in orthodox Worship » dans The one and the many, p. 106-107. Il relie le symbolisme avec les événements historiques et il distingue ces deux pôles à partir du critère du « passé » ou de l’« avenir » de l’« événement ».

[19] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 107.

[20] Zizioulas renvoie souvent à l’œuvre de Maxime, Mystagogie, qui est une explication de l’eucharistie et des symboles. Cf. les deux traductions françaises : Maxime le Confesseur, La Mystagogie, Charpin-Ploix Marie-Lucie (introd. et trad.), Paris, Migne, 2005, coll. « Les Pères dans la foi » 92 et aussi Sotiropoulos Charalambos « La Mystagogie de s. Maxime le Confesseur », Athènes, 2001.

[21] Cf. Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 107. Zizioulas dit chez les Pères en général, mais concrètement, il renvoie seulement à Maxime le Confesseur (Mystagogie) et Jean Damascène (Discours à ceux qui sont contres les icônes, A, 15). Il souligne que les exceptions de ce principe sont les écrivains de l’école d’Alexandrie. Il renvoie (n. 11) à : Clément (Stromates 4, 22), Origène (Sur Jean 10, 16) et Eusèbe de Césarée (Histoire ecclés. I, 3, 4).

[22] Zizioulas J. « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 171. C’est nous qui traduisons.

[23] P. ex. Zizioulas J., « Vérité et communion » dans L’être ecclésial, Genève, Labor et Fides, 1981, p. 87 ; « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 162-163 ; « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 108 ; « The Pneumatological Dimension of the Church » dans The one and the many, p. 85 ; « Implications ecclésiologiques » dans L’Église et ses institutions, p. 39.

[24] Maxime le confesseur, Scholia sur Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique III, 3, 32 (PG 4, 137D), comme cité dans Zizioulas J., « Vérité et communion » dans L’être ecclésial, p. 87 . Zizioulas defend l’authenticité du passage: « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 108 n. 13. Cf. par ailleurs l’expression suivante de Maxime, à propos de la liturgie: « σημαίνουσα καὶ προτυποῦσα δι᾽ ἑαυτῆς τὴν ἀλήθειαν, ἧς εἰκὼν ὑπάρχει καὶ τύπος » Mystagogie, PG, 91 p. 693A.

[25] Zizioulas J., « Vérité et communion », dans L’être ecclésial, p. 87.

[26] Le terme eikôn, εἰκών, enraciné profondément dans la philosophie grecque, fait partie de la célèbre question du « platonisme » des Pères de l’Église. L’eikôn « va endosser le rôle d’un véritable concept théologique dans la pensée patristique, moyennant un certain réinvestissement sémantique du terme à partir de son usage à l’époque classique » : Vasiliu Anca, Εikôn, l’image dans le discours des trois Cappadociens, Paris, Presse Universitaire de France, 2010, collection Epiméthée, p. 152.

[27] Cf. Zizioulas J., « Vérité et communion », dans L’être ecclésial, p. 87.

[28] C’est ici qu’on repère une première différence entre les conceptions platonicienne et patristique de l’icône. Il est connu que l’eikôn de Platon est en principe une copie dégradée d’un modèle. En revanche, pour certains Pères comme les Cappadociens, l’image en Dieu n’est pas une image dégradée. En particulier chez les Cappadociens, selon Vasiliu, l’eikôn signale toujours cette idée de copie/modèle, d’identité et d’altérité, sous le mode d’une distinction ou d’une « identité différée », mais avec des caractéristiques différentes selon que l’on parle du rapport des personnes divines en Dieu ou du rapport entre l’homme et Dieu. S’agissant du Fils, Image du Père : le concept d’image dit à la fois l’identité de nature (l’image n’est pas une copie dégradée) et la distinction des hypostases. S’agissant de l’homme créé à l’image de Dieu : le concept d’image dit également à la fois une similitude de nature ou une « identité différée » et une altérité que la dynamique de la ressemblance tend à réduire tout au long de la vie de l’homme qui cherche la sainteté. : cf. Vasiliu A., Εikôn, p. 22-24.

Afin de comprendre le déplacement patristique du concept de l’eikôn, il importe de rappeler son sens dans la théorie platonicienne de l’imitation. L’eikôn établit une relation de type modèle-image nécessaire dans la définition de l’être et crée un double lien entre l’image et le modèle : lien ontologique de participation et lien épistémologique ou cognitif. D’après Vasiliu, « cette double détermination de l’image, ontologique et cognitive, sera capitale dans l’usage théologique qui en sera fait dans les débats sur la Trinité au IVe siècle » (Vasiliu A., Εikôn, p. 155).

[29] Pour une analyse de cela voir Zizioulas J., « Implications ecclésiologiques » dans L’Église et ses institutions, p. 38-39 et particulièrement la longue n. 2.

[30] « τοῦ προσδωκομένου αἰῶνος εἶναι εἰκών » : Basile de Césarée, Traité du Saint Esprit, 27, 66, SC 17, p. 237. 

[31] Cf. Zizioulas J. « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 181-182.

[32] Schönborn Christoph, L’icône du Christ, fondements théologiques, Paris, Cerf, 20034 (1976), p. 229 (voir aussi p. 227-232).

[33] Cf. Zizioulas J. « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 163.

[34] Cf. Zizioulas J., « Ministry and Communion » dans Being as communion, p. 232-233 et n. 71.

[35] Il faut entendre ici « symboliquement » au sens purement analogique : le symbole est un signe vide. Comme nous verrons un peu plus loin Zizioulas renvoie à la distinction de Tillich entre signe et symbole, où le symbole a une signification ontologique comme l’icône chez Zizioulas. Pour le sens du terme « ontologie » chez notre auteur voir la suite.

[36] Basile de Césarée, Traité du Saint Esprit, 18, 45, SC 17, p. 194 (Zizioulas renvoie à l’édition : PG XVIII, 45, p. 149C). Certes, il faut souligner que cette phrase ne se réfère pas aux images peintes mais au rapport immanent dans la Trinité du Fils, image du Père, au Père. (Athanase d’Alexandrie, dans la controverse arienne, a été le premier à employer l’eikôn à propos de la consubstantialité de l’image avec le prototype dans le cas du Fils. Selon lui, le Fils est l’Image du Père, l’homme n’étant qu’à l’image ; le Fils Image est de même nature que le Père. Le paradigme image-modèle ou image-principe est transposé au cœur de la Trinité.) Nicée II (787) a eu recours à cette phrase de Basile pour justifier l’adoration des images sur la base de l’incarnation. À propos de ce passage, Vasiliu dénonce la mauvaise interprétation de l’eikôn basilienne au concile de Nicée II, qui est en fait une réduction de l’eikôn basilienne à la christologie (voir Vasiliu A., Εikôn, p. 169, 205 et 312-328). Selon elle, Nicée II a fait le contraire de Basile qui « utilise l’image de manière dialectique, platonicienne, comme moyen de la connaissance, non comme objet ou preuve de la Révélation » (p. 319). Il n’est pas possible de discuter ici nos réserves à l’égard de Vasiliu, mais nous pouvons remarquer que l’icône comme objet n’est pas une preuve de la Révélation ; en revanche, elle accomplit cette dialectique et le moyen de connaissance dont parle Vasiliu. Par ailleurs, le sens de l’icône chez Zizioulas est sur le fond christologique : voir la présentation pertinente d’Aristotle Papanikolaou, Being with God, Trinity, Apophaticism, and Divine-Human Communion, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2006, p. 42-44.

[37] Zizioulas J., « L’évêque président de l’eucharistie » dans L’Église et ses institutions, p. 398. Cf. aussi id., « Ὁ Ἐπίσκοπος ὡς προεστώς τῆς Εὐχαριστίας » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 82 où il renvoie également à Théodore le Studite. Même pour Vasiliu, la connaissance du rapport entre l’image et le modèle est éclairée par le concept d’hypostase car l’eikôn serait devenue, pour la pensée patristique d’expression grecque, le terme spécifique qui désigne l’image propre de la relation hypostatique (voir Vasiliu A., Εikôn, p. 191). Cf. de plus, une définition synthétique de l’eikôn basilienne (qui concerne toujours le Fils) proposée par Vasiliu avec des éléments semblables à ceux de Zizioulas : « Eikôn exprime en registre ontologique le caractère naturel du reflet contenu dans l’aspect de tout existant, sa "réalité d’image"[…], sa réalité potentiellement vraie, bien que différente de la réalité absolue de l’être-même » : ibid., p. 271.

[38] Cf. Théodore le Studite « Ὅτι Χριστς ἡ Χριστοῦ εἰκν τῇ κλήσει οὐ τῇ φύσει » (Lettre 235, Βησσαρίωνι τέκνῳ) ; « τήν εἰκόνα Χριστοῦ Χριστν ὀνομάζομεν » (Lettre 476, Νικήτᾳ Σπαθαρίῳ) : cités par Zizioulas dans « Ὁ Ἐπίσκοπος ὡς προεστώς τῆς Εὐχαριστίας » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 82-83, n. 1 et 2. Ailleurs, il cite d’autres passages de Théodore : « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 110-111, n. 20 et 21.

[39] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 109, traduit par nous, en prenant en compte la version originale grecque. Comme Zizioulas l’explique ailleurs, la nature par elle même n’a pas une personne propre mais elle prend hypostase dans une personne. Pour cela, donc, on peut avoir dans une personne (le Christ) plusieurs natures : Zizioulas J., le chapitre « Ecclesiology » dans Lessons on Christian Dogmatics, (sur le site www.oodegr.com/english/dogmatiki1/E7.htm). Cf. Zizioulas J., « Du personnage à la personne » dans L’être ecclésial, p. 30-42.

[40] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 110. C’est nous qui traduisons.

[41] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 110.

[42] Pour le concept de l’icône comme unité de l’histoire et de l’eschatologie chez Zizioulas voir la bonne synthèse d’A. Papanikolaou, Being with God, p. 38-44.

[43] Nous précisons d’emblée que nous entendons le terme icône au sens large qui englobe divers signifiants : la figure, la peinture religieuse, le signe/symbole, le ministère ou le culte en tant que icône etc.

[44] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 108.

[45] Cf. Papanikolaou A., Being with God, p. 43. Papanikolaou rapproche les vues de Zizioulas de celles de J.-L. Marion, Dieu sans l’être, à propos du concept de l’icône et trouve que pour Marion l’icône est enracinée dans la phénoménologie, tandis que pour Zizioulas elle l’est dans la christologie : voir p. 42-44.

[46] Zizioulas regrette qu’habituellement en Occident « (...) la notion d’icône a été transformée en un simple art décoratif sans contenu eschatologique et ontologique »: Zizioulas J. « Ὁ Ἐπίσκοπος ὡς προεστώς τῆς Εὐχαριστίας » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 82. Souvent l’iconographie et toute autre intervention humaine est considérée (surtout dans le protestantisme) comme un obstacle au rapprochement avec Dieu. Cependant, tout le raisonnement de Zizioulas vise à montrer théologiquement pourquoi on a besoin de l’icône pour accéder au prototype ou pourquoi, par exemple, on ne prie pas individuellement le Christ directement mais qu’il nous faut en tant que communauté son icône eucharistique qui est l’évêque.

[47] À propos de la place des icônes picturales dans la liturgie orthodoxe, O. Clément écrit « L’icône fait partie intégrante de la liturgie » : Clément O., « Les icônes » dans L’Église orthodoxe, p. 99 (et aussi p. 100-105).

[48] Une juxtaposition de l’icône et de l’évêque, comme le fait Zizioulas, semble éventuellement aux yeux occidentaux comme une généralisation exagérée. Cependant, dans la piété orthodoxe (qui, comme dit Zizioulas, renferme souvent des vérités théologiques) on repère certains gestes des fidèles qui sont semblables à la vénération des icônes : le baisement de la main ou le toucher des ornements de l’évêque ou du prêtre. Mais, dans notre époque marquée par l’individualisme et la désacralisation, ces gestes, poursuit Zizioulas, ont presque disparu, en raison de l’appréhension du ministre comme d’un individu pécheur et non pas comme d’une icône liturgique : Zizioulas J. « Ὁ Ἐπίσκοπος ὡς προεστώς τῆς Εὐχαριστίας » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 84.

[49] Parlant d’ontologie iconique, il fallait avant tout clarifier ce que Zizioulas entend par les termes « ontologie » ou « ontologique », entreprise pourtant qui s’avère complexe et dépasse notre propos. Nous nous contentons de signaler qu’en l’occurrence Zizioulas qualifie d’ontologique quelque chose pour montrer qu’elle se réfère à une réalité ou à l’être et non à une fiction ou à une idée abstraite. Quant au contenu d’ontologie de Zizioulas, l’être est défini comme communion sur la base de l’être relationnel de Dieu qui est déterminant pour toute ontologie. Pour l’interprétation de l’ontologie par Zizioulas voir les remarques de J.-Y. Lacoste : « Être » dans Lacoste J.-Y. (sous la dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2007,  p. 515-516 et aussi la thèse inédite de Konstantinos Agoras, Personne et Liberté ou "Etre comme communion" dans l’œuvre de Jean Zizioulas, Paris, Institut Catholique de Paris, 1992. Zizioulas présente son ontologie dans l’étude fondamentale « Du personnage à la personne » dans L’être ecclésial, p. 23-55 et dans plusieurs études de son livre Communion and Otherness, (notamment les deux premiers chapitres « On being Other » et « On being a Person »).

[50] Zizioulas J., le chapitre 2d. « Εικονική Οντολογία » dans Θέματα Eκκλησιολογίας, traduit par nous.

[51] Cf. « La nouveauté dont l’expérience chrétienne prétend vivre peut alors se penser comme don d’un mode d’être ecclésial ("hypostase ecclésiale"), qu’une phénoménologie de la célébration eucharistique reçoit pour mission de décrire (Zizioulas, 1985) » : Lacoste J.-Y. « Être », p. 515.

[52] Pour reprendre cette formule proposée par Zizioulas pour la relation entre l’Église catholique entière et les Églises catholiques locales : « La communauté eucharistique », dans L’être ecclésial, p. 124 et p. 134.

[53] Zizioulas J., « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 92.

[54] Cf. Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 101. À propos du symbole, il renvoie à Cyrille de Jérusalem qui, en commentant les sacrements du baptême et de la chrismation, évoque le rapport paradoxal du symbole avec la vérité et la réalité. 

[55] Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 104. Le rapport Dieu-monde passait toujours pour le christianisme par des relations personnelles.

[56] Cf. Lacoste Jean-Yves, « Symbole » dans Lacoste, p. 1362-1363.

[57] Zizioulas évoque la distinction faite par Paul Tillich entre signe et symbole (Systematic Theology, v. 1, 1951, p. 265): « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 103. La différence du symbole par rapport au signe est qu’il ne montre pas seulement une réalité mais qu’il participe à la réalité qu’il symbolise. Pour Zizioulas alors, l’icône est un symbole par excellence puisqu’elle participe de manière ontologique à son prototype. A. Papanikolaou, Being with God, p. 176, n. 169 signale aussi la possibilité d’une comparaison entre l’icône de Zizioulas et le concept de symbole comme participation chez Tillich ; il renvoie de plus à Tillich Paul, Dynamics of Faith, New York, Harper et Brothers, 1958, p. 41-54. 

[58] Si Zizioulas met sans cesse l’accent sur la qualité ontologique de l’icône, il le fait expressément afin de ne pas « tomber dans le domaine de l’imaginaire ou de l’irréel » : Zizioulas J., « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 100. Et il continue en affirmant « que la nature iconique de l’Église n’implique pas un manque de réalité. Cela implique, toutefois, un manque de réalité objectivée et autonome ».

[59] Cf. Zizioulas J., « Symbolism and Realism » dans The one and the many, p. 102 et p. 117. Le souci principal de Zizioulas dans cet article est à juste titre de donner au symbole une réalité ontologique contre toute magie et tout rationalisme. 

[60] Cf. Zizioulas J., le chapitre 2d. « Εικονική Οντολογία » dans Θέματα Eκκλησιολογίας. Zizioulas constate que la théologie occidentale a été confrontée à ces problèmes puisqu’elle n’a pas intégré suffisamment la dimension iconique (la théologie des icônes) et, par extension, la dimension eschatologique de la liturgie. Il est peut-être significatif que l’eschatologie occidentale ait souvent un caractère dramatique.

[61] Un exemple utilisé par Zizioulas est celui de la sainteté de l’Église : elle est par nature sainte et elle se compose de pécheurs. Dès lors, soit uniquement les fidèles saints sont membres véritables de l’Église, soit l’Église n’est pas sainte. La solution de Zizioulas est l’ontologie iconique : la réalité de l’Église, comme elle existe dans l’histoire, est l’icône des eschata mais non pas les eschata. Ainsi l’Église est sainte parce qu’elle révèle la réalité sainte du Royaume de Dieu, le seul saint étant le Christ.

[62] Cf. Cavanaugh William, Torture et eucharistie, Genève-Paris, Ad solem-Cerf, 2009, p. 410-414. Il est intéressant de voir comment Cavanaugh (qui s’inspire de Zizioulas) présente ces problèmes, certes dans le cadre de sa propre problématique.

[63] Cf. Lacoste J.-Y., « Être » dans Lacoste, p. 515 : « Le couple du "visible" et de l’"invisible", ou de l’"Église empirique" et de l’"Église essentielle" (Bonhoeffer) cesse du coup de gouverner l’interprétation. L’essentiel en effet (le définitif, l’eschatologique) est réellement donné dans l’Église empirique où elle manifeste toute son identité – mais c’est sur le mode d’anticipation, sur le mode d’un sens qui investit le présent à partir d’un avenir absolu, que l’essentiel (existence pleinement ecclésiale et pleinement personnelle) possède une présence (Zizioulas, 49-65) ».

[64] Voir la conférence de Zizioulas à l’Université King’s College (Londres, 1999) intitulée « Towards an Eschatological Ontology » et publiée sur internet (www.resourcesforchristiantheology.org) et son ouvrage à paraître : Remembering the Future : An Eschatological Ontology, London, T & T Clark.

[65] Par exemple, l’icône byzantine de la Pentecôte inclut Paul parmi ceux qui sont présents dans l’événement, ce qui est bien entendu une inexactitude « historique », parce que justement l’iconographie cherche à révéler la réalité ultime et non pas strictement la vérité historique. Pour le caractère eschatologique de l’iconographie byzantine, voir Ouspensky Léonide, La théologie de l’icône dans l’Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1982.

[66] Zizioulas J., « Eschatology and History » dans The one and the many, p. 126-135 et surtout p. 130-131.

[67] « C’est ce qui les rend "sacramentelles", on peut dire, dans le langage de la théologie orthodoxe iconiques » : Zizioulas J., « Christologie, pneumatologie » dans L’Église et ses institutions, p. 25.

[68] Zizioulas J., le chapitre 2d. « Εικονική Οντολογία » dans Θέματα Eκκλησιολογίας, traduit par nous.

[69] Pour le texte voir : Parenti Stefano, Velkovska Elena, L’Eucologio Barberini gr. 336, Rome, Edizioni Liturgiche, 2000 p. 78. Cette remarque revient souvent chez Zizioulas ; à titre indicatif : Zizioulas J. « Εὐχαριστία καί Βασιλεία τοῦ Θεοῦ » dans Εὐχαριστίας ἐξεμπλάριον, p. 188-189.

[70] Cf. le passage, cité souvent par Zizioulas, de Nicolas Cabasilas (XIVe s.) qui dit que l’Église « σημαίνεται ἐν τοῖς μυστηρίοις » (PG 150, 452 D).

[71] Cf. Zizioulas J., « Eschatology and History » dans The one and the many, p. 132-133. Voir Chéno Rémi, « Eschatologie et communion. Les conséquences d’une constitution pneumatologique de l’ecclésiologie selon J. Zizioulas » dans Istina, 51, 2006, p. 375-412. Sur l’ontologie eucharistique, notamment chez Maxime le Confesseur, nous renvoyons à l’étude doctorale, sous la direction de Zizioulas, de Nicolaos Loudovikos, Εὐχαριστιακή Ὀντολογία [L’ontologie eucharistique], Athènes, Domos, 1992 (en grec).

[72] Voir Miltos Amphilochios, « La notion biblique de "personnalité corporative". De l’exégèse biblique à la théologie dogmatique » dans Θεολογία, 85, n. 2 (avril-juin), 2014, pp. 147-175.

[73] Zizioulas J., « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 102.

[74] Zizioulas J., « Le mystère de l’Église » dans L’Église et ses institutions, p. 100. C’est nous qui soulignons.

[75] Cf. « Le ministère, comme l’Église elle-même, doit être compris comme iconique et non comme quelque chose d’objectivement ontologique. Je veux dire par là qu’il en va pour le ministère exactement comme pour une "icône" : la réalité ne se situe pas seulement dans la chose elle-même, mais dans ce à quoi elle renvoie » : Zizioulas J., « Implications ecclésiologiques » dans L’Église et ses institutions, p. 45.

[76] Rigal Jean, L’ecclésiologie de communion. Son évolution historique et ses fondements, Paris, Cerf, 1997, « Cogitatio Fidei » 202, p. 184. Volf M., After Our Likeness, p. 101. Baillargeon G., Perspectives orthodoxes sur l’Église-Communion, p. 256. Chéno R., « Eschatologie et communion », p. 391-392, 403-404.

[77] À l’encontre de ce que R. Chéno laisse entendre : Chéno R., « Eschatologie et communion », p. 394. Selon nous, les réserves de Chéno, à savoir « la difficulté à penser ensemble eschatologie et histoire, une tendance à confondre Église et Royaume » (p. 403), sont peu justifiées si on prend en compte cette ontologie qui est eschatologique dans la mesure où elle est iconique.

[78] A. Papanikolaou en défendant également Zizioulas envers les critiques de Volf et Baillargeon, signale la nécessité de conceptualiser l’icône. « Though it is true that Zizioulas lacks an adequate account of the relation between the church as a eucharistic event and the historical church, to transcend history eschatologically does not mean to obliterate history. Otherwise, following Zizioulas’s logic, “icon” would be meaningless. The fact that the eucharist is the locus of the eschatological presence in history does not necessarily mean that the historical church, i.e., the non-eucharistic church, is empty of this presence. Zizioulas’s understanding of icon, however, might be strengthened conceptually if he were to demonstrate how the eschaton can be experienced in the eucharist as a moment that transcends history while remaining somehow present within history »: Papanikolaou A., Being with God, p. 176 (n. 159). Nous espérons avoir en partie esquissé cette conceptualisation dans cet article.  

[79] Zizioulas J., « Vérité et communion », dans L’être ecclésial, p. 84. Cf. Lacoste J.-Y., « Être », p. 515.

[80] Remembering the Future : An Eschatological Ontology, London, T & T Clark.

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John Zizioulas Foundation
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